Cour d'appel de Noumea, 24 octobre 2022

Cour d'appel de Noumea, 24 octobre 2022

21/000327

No de minute : 78/2022

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 24 octobre 2022

Chambre sociale

Numéro R.G. : No RG 21/00032 - No Portalis DBWF-V-B7F-R55

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 avril 2021 par le tribunal du travail de NOUMEA (RG no :19/110)

Saisine de la cour : 4 mai 2021

APPELANT

S.A.R.L. ICCARE, prise en la personne de ses représentants légaux,

Siège social : [Adresse 4]

Représentée par Me Myriam LAGUILLON de la SELARL LEXNEA, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉS

M. [X] [U]

né le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 5],

demeurant [Adresse 7]

Représenté par Me Virginie BOITEAU de la SELARL VIRGINIE BOITEAU, avocat au barreau de NOUMEA

CAISSE DE COMPENSATION DES PRESTATIONS FAMILIALES DES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET DE PREVOYANCE (CAFAT),

Siège : [Adresse 3]

Représentée à l'audience par Mme [M] [S]

Société d'assurances QBE INSURANCE LIMITED, délégation de Nouvelle Calédonie,

Siège social : [Adresse 1]

Représenté par Me Philippe REUTER de la SELARL D'AVOCATS REUTER-DE RAISSAC-PATET, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 septembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Philippe ALLARD, Président de chambre, président,

M. François BILLON, Conseiller,

M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Philippe ALLARD.

Greffier lors des débats : M. Petelo GOGO

Greffier lors de la mise à disposition : Mme Cécile KNOCKAERT

ARRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par signé par M. François BILLON, Conseiller en remplacement de M. Philippe ALLARD, président empêché, et par Mme Cécile KNOCKAERT adjointe administrative principale faisant fonction de greffier en application de l'article R 123-14 du code de l'organisation judiciaire, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

***************************************

Procédure de première instance

M. [U] a été engagé par la société Iccare, qui exerce une activité de construction-fabrication et pose de charpentes et ossatures métalliques, en tant que charpentier couvreur à compter du 1er mars 2010. Il sera ultérieurement promu chef d'équipe.

A l'issue d'une visite effectuée le 29 août 2017 à la demande du médecin traitant du salarié, le médecin du S.M.I.T. a émis l'avis suivant :

« Apte avec restriction. Nécessité poste aménagé sans travail en hauteur ni port de charge lourde au-delà de 5 kg. Pour 2 mois. RDV prévu au smit le 31/10/2017. »

Le 31 octobre 2017, le médecin du S.M.I.T. a émis l'avis suivant :

« Apte avec restriction. Maintien en poste aménagé au poste de l'atelier de ferraillage sans travaux en hauteur ni port de charges lourdes au-delà de 10 kg pas de travail avec les bras en hauteur. »

Le 6 novembre 2017, la société Iccare a procédé à une déclaration de maladie professionnelle.

Le 22 novembre 2017, une enquête a été réalisée par le technicien de prévention de la CAFAT.

A l'issue d'une visite effectuée le 4 décembre 2017, « à la demande de l'employeur pour évaluer l'adéquation de (son) poste par rapport aux restrictions posées par le médecin du travail lors de sa dernière visite médicale », dans l'atelier de ferraillage de la société Iccare où M. [U] tenait désormais un « poste aménagé », le médecin du S.M.I.T. a jugé que « l'aménagement actuel du poste de travail du salarié dans l'atelier semblait compatible avec son état de santé actuel et compatible avec les préconisations du médecin du travail » (compte rendu daté du 15 décembre 2017).

Par lettre en date du 23 janvier 2018, la CAFAT a informé M. [U] qu'elle « avait reconnu le caractère professionnel de (son) affection, constatée le 26/10/2017 par le docteur [B] [N] : Tendinopathie des deux épaules. »

La société Iccare a proposé à M. [U] un avenant à son contrat de travail prévoyant qu'il exercerait « les fonctions d'opérateur atelier » pour une période déterminée du 1er janvier au 30 avril 2018. Le salarié a refusé cet avenant.

M. [U] a été placé en arrêt de travail du 5 février 2018 au 2 mars 2018 pour une « tendinopathie des 2 épaules ». Cet arrêt de travail a été renouvelé jusqu'au 31 août 2018.

Le 21 mars 2018, le médecin du S.M.I.T. a déclaré M. [U] « inapte temporaire » au poste de chef de chantier.

Le 24 mai 2018, ce médecin a émis un avis identique.

Lors de la visite de reprise effectuée le 4 septembre 2018, ce médecin a émis l'avis suivant :

« Inapte au poste : inaptitude au poste de chef de chantier. Pas de possibilité de reclassement dans l'entreprise adapté à son état de santé ».

Par lettre remise en main propre le 12 septembre 2018, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé au 21 septembre 2018.

Par lettre datée du 26 septembre 2018, la société Iccare lui a notifié son « licenciement pour impossibilité de reclassement à la suite d'une inaptitude ».

Selon « notification d'attribution de rente pour incapacité permanente » en date du 13 décembre 2018, la CAFAT a informé M. [U] qu'un « taux d'incapacité permanente partielle avait été fixé à 20 % à la date de consolidation de (son) état, le 1er septembre 2018. »

Selon requête introductive d'instance déposée le 18 avril 2019, M. [U] a introduit devant le tribunal du travail de Nouméa une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et en contestation de son licenciement.

La société QBE insurance limited, assureur de l'employeur, est intervenue volontairement à la cause.

Selon jugement en date du 7 avril 2021, la juridiction saisie a :

- déclaré que M. [U] était atteint d'une maladie professionnelle et que la société Iccare avait commis une faute inexcusable de nature à entraîner la majoration de la rente,

- dit que la majoration de la rente serait fixée au maximum,

- renvoyé les parties à se concerter pour déterminer cette majoration et à procéder tel que prévu par l'article 34 du décret no 57-245 du 24 février 1957,

- dit que M. [U] était fondé à solliciter la réparation de son préjudice personnel de droit commun,

- ordonné une expertise destinée à déterminer les conséquences médico-légales de l'affection et commis le docteur [F] pour y procéder,

- dit que la société d'assurances QBE insurance limited devrait garantir la majoration de la rente que la CAFAT servirait à ce dernier et récupérerait par la cotisation supplémentaire « accident de travail »,

- limité sa garantie à cette cotisation supplémentaire,

- dit que le licenciement de M. [U] pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Iccare à payer à M. [U] les sommes suivantes :

3.552.000 FCFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

300.000 FCFP pour préjudice distinct,

- dit que les sommes allouées produiraient des intérêts au taux légal à compter de la décision,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné l'exécution provisoire à hauteur de 50 % des sommes allouées à M. [U] à titre des dommages-intérêts,

- dit qu'il appartiendrait à M. [U] de saisir le tribunal lorsque le rapport d'expertise serait déposé,

- ordonné le retrait de l'affaire du rôle,

- condamné la société Iccare à verser à M. [U] la somme de 200.000 FCFP au titre des frais irrépétibles,

- condamné la société Iccare aux dépens.

Les premiers juges ont principalement retenu :

- que l'affection dont souffrait M. [U], inscrite au tableau no 57A des maladies professionnelles, était présumée professionnelle ;

- que la société Iccare, spécialiste du montage des charpentes métalliques, aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé depuis 2010 ;

- que M. [U] n'avait commis aucune faute en ne signalant pas à l'employeur les douleurs aux épaules qu'il endurait depuis plusieurs années ;

- que dès lors que l'inaptitude était imputable à une faute inexcusable de l'employeur, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Procédure d'appel

Selon requête déposée le 4 mai 2021, la société Iccare a interjeté appel de cette décision. M. [U] a formé un appel incident.

Aux termes de son mémoire déposé le 3 février 2022, la société Iccare demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

- dire et juger que la société Iccare a respecté son obligation de sécurité et n'a commis aucune faute inexcusable dans l'exécution du contrat de travail la liant à M. [U] ;

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes relatives à la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;

- dire et juger que le licenciement de M. [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes relatives au licenciement ;

- dire et juger qu'aucun rappel de salaires n'est dû à M. [U] ;

- débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes de rappel de salaires ;

- dire et juger que la société Iccare est assurée auprès de la société QBE insurance international limited ;

- déclarer l'arrêt à venir opposable à la société QBE insurance international limited ;

- mettre à la charge de la société QBE insurance international limited le montant des dommages et intérêts éventuellement alloués à M. [U] dans la limite des garanties contractuelles ;

- condamner M. [U] à verser à la société Iccare la somme de 600.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [U] aux entiers dépens.

Dans des conclusions transmises le 30 décembre 2021, M. [U] prie la cour de :

à titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que la maladie de M. [U] consistant en une tendinopathie des deux épaules telle que reconnue par la CAFAT selon décision en date du 23 janvier 2018 est une maladie professionnelle, dit que la société Iccare a commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie professionnelle dont a été victime M. [U], constaté que l'employeur a méconnu son obligation de sécurité renforcée en ce qui concerne la santé de M. [U] en ne procédant pas à l'évaluation des risques auxquels était exposé son salarié à son poste de travail, en ne prenant pas les mesures de préventions et de précautions nécessaires pour l'en préserver, et en n'effectuant aucune formation sérieuse sur le port de charges lourdes en huit années d'activité ;

- dire que la rente d'invalidité versée par la CAFAT sera majorée à 100 % ;

- surseoir à statuer sur les préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux entraînés

par la maladie professionnelle de M. [U] ;

- dire et juger que le licenciement de M. [U] doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

à titre d'appel incident,

- réformer le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions ;

- constater que M. [U] aurait dû bénéficier du statut d'agent de maîtrise AM4 ;

- condamner la société Iccare à verser à M. [U] les sommes suivantes :

6.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

1.500.000FCFP à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et financier annexe,

730.000 FCFP à titre de rappel sur primes de fin d'année,

619.584 FCFP au titre de rappel sur salaires,

1.542.689 FCFP au titre du rappel sur primes de hauteur ;

- dire et juger que les sommes dues produiront intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir pour les créances indemnitaires, et à compter de la requête introductive pour les créances salariales ;

- dire et juger le jugement à intervenir opposable à la CAFAT ;

- condamner la société Iccare à rembourser à M. [U] la somme de 400.000 F CFP au titre des frais irrépétibles en cause d'appel et aux entiers dépens dont distraction au profit de la selarl Virginie Boiteau.

Dans des conclusions déposées le 30 novembre 2021, la CAFAT demande à la cour de :

- constater que la tendinopathie des deux épaules présentées par M. [U] a été prise en charge au titre de la législation professionnelle ;

- prendre acte que la maladie présentée par M. [U] remplit l'ensemble des conditions requises à sa prise en charge au titre de la maladie professionnelle 57 A ;

- constater qu'elle ne s'oppose pas à la mesure d'expertise sollicitée ;

- dire qu'en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la CAFAT précédera conformément à l'article 34 du décret du 24 février 1957 sur la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Aux termes de ses conclusions transmises le 31 août 2021, la société QBE insurance international limited demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité la garantie de concluante à la seule majoration de rente que la CAFAT est habilitée à récupérer par le moyen d'une cotisation « accident du travail » supplémentaire ;

- dire, par conséquent, que la concluante ne saurait garantir aucune somme versée à M. [U] par la société Iccare au titre de la réparation de son préjudice personnel ;

- débouter M. [U] et la société Iccare de l'ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamner la société Iccare à lui payer la somme de 250.000 FCFP au titre des frais irrépétibles.

Sur ce, la cour,

1) M. [U] souffre d'une tendinopathie chronique des deux épaules, affection inscrite au « tableau no 57 - Affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail ». Dans un certificat daté du 20 novembre 2018, le docteur [T], rhumatologue, a imputé cette affection au « métier de couvreur-charpentier » de M. [U].

A l'appui de son appel, la société Iccare affirme avoir « tout fait afin que M. [U] porte le moins de charges et de poids possibles et qu'il les porte bien lorsqu'il le devait. »

M. [U] se prévaut des témoignages d'anciens collègues de travail ou d'autres salariés qui intervenaient sur les chantiers, qui rapportent que celui-ci était contraint de manipuler des charges lourdes, notamment des éléments de charpente ou de couverture.

C'est ainsi que notamment :

- M. [G] « confirme » que M. [U] portait « des pannes et des tôles à la main, sans aucune aide de grue, de chariot élévateur » ;

- M. [O] rapporte que sur le chantier du lycée [6], il avait vu M. [U] « soulever tous avec des cordes car il n'y a des batiments ou les nasselles n'ont pas l'axes » ;

- M. [I] indique avoir vu M. [U] « soulever des pannes lourds ainsi que des tôles » et que « tous ce faisait avec des cordes car on avait pas de moyen d'élever nos matériaux sur le toit » ou encore que « c'est à nous de se débrouiller pour transporter tous sur le toit » ;

- M. [J] rapporte avoir vu M. [U] tirer les pannes avec des cordes sur le chantier [6] ;

- M. [H] fait un témoignage similaire en observant qu'il n'y avait « pas de moyen d'élévation là où ils travaillaient » ;

- M. [E], qui avait été embauché à deux reprises par la société Iccare, le 1er avril 2010 puis le 23 juillet 2013, souligne qu'il leur fallait soulever « les tôles et les pannes en métallique à la main », en l'absence de « tous les matériels nécessaire pour travailler sur les chantiers et même pas une grue » ; qu'il avait vu M. [U] porter des « tôles de 6 mètres à voir plus et aussi le poids des pannes en métal » ; que lorsque la grue n'était pas utilisable, ils devaient monter le matériel « à la main avec des cordes » ;

- M. [C] explique qu' « à l'époque, on tiré à la corde les tôles jusqu'au toit ainsi que les pannes métallique très lourde, on avait aucune machine pour nous aider à faire ce genre de travail, il fallait tout faire à mains nue » ;

- M. [Z] [Y] confirme avoir vu M. [U] tirer « à la corde des tôles car il n'y avait pas de moyens d'élévations », qui étaient « très lourdes » ;

- M. [R] [Y] indique avoir vu M. [U] porter des pannes métalliques, dont il ne connaissait pas le poids exact, mais qui étaient « très lourde vue que moi même je l'ai porté » ;

- M. [A] fait état du recours à une corde pour monter les tôles « quand le camion ne peut atteindre le haut ».

Si l'employeur stigmatise ces attestations en ce qu'elles sont imprécises sur le poids des charges, celles-ci sont suffisamment circonstanciées et concordantes pour affirmer qu'une absence de dispositif de levage contraignait les salariés de la société Iccare, dont M. [U], à lever et manipuler des charges d'un poids significatif, notamment des tôles et des pannes pesant plus de 100 kg, de façon habituelle.

Ainsi que l'observe M. [U] dans ses conclusions, il résulte du rapport d'évaluation des risques professionnels établi par la société Pégase qu'au 1er décembre 2012, la société Iccare n'avait qu'un camion-grue alors qu'elle déployait déjà quatre « équipes chantier ». La société Iccare a mis en service deux nacelles en février et avril 2014, soit quatre ans après le début de la relation de travail avec M. [U].

Si la société Iccare justifie avoir loué des équipements de levage pour exécuter ses marchés, il ressort des factures produites que ces locations étaient ponctuelles et ne permettaient pas d'assurer une couverture permanente de l'ensemble des chantiers en moyens de manutention. La société Iccare en convient à mots couverts en expliquant qu'il lui avait fallu « un temps (...) nécessaire afin d'obtenir des financements et acquérir du matériel ». En conclusion, les témoignages invoqués par le salarié ne sont pas démentis par les éléments produits par l'employeur.

Les premiers juges ont reproché à la société Icarre de ne pas avoir dispensé à M. [U] la moindre formation sur le port des charges et de n'avoir dispensé qu'une seule formation en matière des gestes et postures en 2015.

Les seules formations, que la société Iccare justifie avoir organisées au profit de M. [U], sont :

- une formation « port du harnais de sécurité » dispensée le 29 avril 2013 par la société Sauvegarde-formations,

- une formation « geste et postures » dispensée le 18 septembre 2015 par la société Consult NC.

Au-delà de leur nombre fort limité, ces formations ont été dispensées alors que M. [U] était à son service depuis plusieurs années.

Si la société Iccare prouve avoir conclu avec la société Consult NC une « convention pour l'accompagnement du système de management en santé sécurité au travail » datée du 1er juillet 2014 puis une « convention pour l'accompagnement en santé sécurité au travail » datée du 1er avril 2016, les retombées concrètes de ces engagements sur la pratique quotidienne de M. [U] sont inconnues.

La société Iccare nie avoir commis une faute en n'apprenant pas à M. [U] « à porter ou à réduire le port de charges » puisque celui-ci « le savait de par son expérience ». La cour ne peut se satisfaire de cette pétition de principe. Dès lors que l'article Lp 261-24 faisait obligation à l'employeur d'organiser « une formation pratique et appropriée à la sécurité, au bénéfice des travailleurs qu'il embauche », il appartenait au minimum à la société Iccare de vérifier voire de consolider les connaissances de M. [U] en matière de sécurité.

Alors qu'elle savait que M. [U] devait régulièrement manipuler des charges conséquentes et avait une activité susceptible d'entrer dans le champ de l'arrêté no 2009-4271/GNC du 22 septembre 2009 relatif aux prescriptions minimales de sécurité et de santé concernant la manutention manuelle de charges comportant des risques, notamment dorsolombaires pour les travailleurs, la société Iccare a fait preuve d'une désinvolture certaine dans l'exécution de son obligation de sécurité en se désintéressant de la formation du salarié, durant de nombreuses années.

Les améliorations qui ont pu être apportées par la nouvelle gérance ne peuvent pas effacer les négligences précédemment relevées face au risque lié au port de charges.

Dans ces conditions, c'est à bon droit, et par des motifs pertinents que la Cour adopte, que les premiers juges ont reproché à la société appelante de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour préserver M. [U] de la maladie professionnelle qu'il a développée alors qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel celui-ci était exposé, compte tenu des conditions d'exécution du contrat de travail.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'une faute inexcusable a été imputée à la société Iccare.

2) Les dispositions induites par la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, y compris celles ayant déclaré le licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse, doivent également être confirmées.

3) M. [U] sollicite le paiement d'un rappel de salaire de 619.584 FCFP pour les années 2015 à 2018 en revendiquant le statut d'agent de maîtrise AM4.

Après avoir rappelé que la « nomenclature des emplois » de l'Accord professionnel du bâtiment et des travaux publics prévoit que l'agent de maîtrise de niveau IV est « responsable, directement ou par l'intermédiaire d'agents de maîtrise de qualification moindre, de l'activité de personnels des niveaux I à III inclus », le tribunal du travail a rejeté la demande du salarié en observant que celui-ci n'établissait pas qu'il encadrait des personnels de niveaux I à III.

M. [U] ne démontre toujours pas qu'il dirigeait des ouvriers professionnels P3 voire des ouvriers hautement qualifiés qui relèvent du niveau III.

L'article 14 de l'accord précité précise, s'agissant des ouvriers de niveau III :

« Responsabilité :

- organisation de son travail dans la limite des instructions reçues. Il peut avoir le contrôle technique du travail exécuté par du personnel de qualification moindre. Dans le cas où il a en plus la responsabilité hiérarchique, c'est un agent de maîtrise.

- cette responsabilité de maîtrise est caractérisée par l'encadrement d'un personnel d'exécution. »

Ainsi que l'ont observé les premiers juges, sa qualité de chef d'équipe n'est donc nullement incompatible avec une classification d'ouvrier niveau III. M. [U] ne démontre pas avoir eu une « responsabilité hiérarchique » qui lui aurait conféré la qualité d'agent de maîtrise.

En conclusion, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [U] de sa demande de rappel de salaire.

4) M. [U] réclame le paiement d'un rappel de prime de hauteur d'un montant de 1.542.689 FCFP.

Ce chef de demande a été rejeté par le tribunal du travail qui a observé que le salarié ne démontrait pas avoir travaillé dans les conditions d'octroi définies par l'article 20 de l'accord.

M. [U] ne fournit aucun élément nouveau démontrant qu'il avait droit à cette prime.

Le jugement sera confirmé.

5) M. [U] réclame le paiement d'un montant de 730.000 FCFP à titre de rappel sur primes de fin d'année.

Ce chef de demande a été rejeté par les premiers juges qui ont observé que l'employeur avait versé des primes de fin d'année en 2015, 2016 et 2017, d'un montant variable, et que la convention collective ne prévoit pas l'octroi de telles primes. L'intimé conteste ce raisonnement en invoquant le bénéfice d'un « usage ».

M. [U] n'apportant pas la preuve de l'existence et de l'étendue de l'usage invoqué, la cour ne peut que confirmer le rejet de ce chef de demande.

6) Le tribunal du travail a évalué le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 3.552.000 FCFP, soit à un an de salaire ; M. [U] entend la porter à 6.000.000 FCFP.

Au regard de l'âge et de l'ancienneté du salarié, le montant de l'indemnité a été justement arrêté à 3.552.000 FCFP.

7) M. [U] réclame une indemnité de 1.500.000 FCFP à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et financier annexe, que le tribunal du travail a évalué à 300.000 FCFP. A cet effet, il évoque un « préjudice distinct de la seule perte de son emploi ».

Il résulte des motifs du jugement déféré que l'indemnité allouée par les premiers juges est destinée à compenser le préjudice moral consécutif à la dégradation brutale de sa situation financière et au stress généré par le litige.

Dès lors qu'il est admis que les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'invalidité sont compensées par la rente servie par la CAFAT et que M. [U] ne démontre pas avoir subi des dommages distincts de ceux pris en considération par le tribunal du travail, le montant contesté sera entériné par la cour.

8) La société Iccare entend que les dommages et intérêts alloués à M. [U] soient mis à la charge de la société QBE insurance international limited.

Les premiers juges ont précisé que la société QBE insurance international limited ne garantit que « la majoration de la rente que la CAFAT servira à ce dernier (soit M. [U]) et récupérera par la cotisation supplémentaire 'Accident du travail' ». Cette solution est conforme aux stipulations de l' « Avenant - responsabilité civile des entreprises » signé le 4 septembre 2018 par la société Iccare, relatives à l' « extension de garantie 'faute inexcusable de l'employeur' ». Elle doit être confirmée.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne la société Iccare à payer à M. [U] une indemnité complémentaire de 400.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Iccare à payer à la société QBE insurance international limited une somme de 200.000 FCFP sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Iccare aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président.

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