Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 avril 2009

Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 28 avril 2009

08-87.260, Inédit

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Pascal,

contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3e chambre, en date du 16 octobre 2008, qui, pour homicide involontaire et infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, l'a condamné à quinze mois d'emprisonnement dont douze mois avec sursis, 30 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de publication et d'affichage et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, préliminaire, 388 et 593 du code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pascal X... coupable des chefs d'homicide involontaire et de mise en service d'équipement de travail pour le levage des charges sans respect des règles d'utilisation, l'a condamné à une peine de quinze mois d'emprisonnement, dont douze mois avec sursis, et à une amende délictuelle de 30 000 euros, a ordonné la publication et l'affichage de la décision de première instance et a déclaré les constitutions de parties civiles recevables ;

" aux motifs propres qu'il convient de relever qu'au-delà de ses fonctions de président du directoire de la société X... Constructions, Pascal X... exerçait, sur le chantier du Pellerin où Marc Y... a trouvé la mort, les fonctions de coordonnateur de travaux ; qu'il s'en déduit nécessairement qu'il devait avoir une connaissance particulièrement précise des conditions dans lesquelles ce chantier devait se dérouler et, surtout, qu'il avait l'obligation de veiller très précisément à la définition et la mise en oeuvre des mesures de sécurité applicables sur ce chantier au fur et à mesure de son déroulement ; que, pour permettre la réalisation de ce chantier, Pascal X... a pris l'option d'y affecter un engin de marque Potain GMR-HD-40A susceptible de lever une tonne en bout de flèche, soit à 35 mètres ; que le PPSPS établi pour ce chantier prévoit l'utilisation d'une trémie de 500 litres ; qu'en cours de chantier, alors qu'environ une semaine de retard avait été prise, André Z..., exerçant la fonction de chef de chantier, s'est aperçu et a fait part à Pascal X... que certaines prédalles qui devaient être posées, ainsi qu'un escalier préfabriqué, pesaient bien davantage que le poids susceptible d'être soulevé par la grue qui avait été affectée au chantier ; qu'il était également confronté à la difficulté résultant de l'impossibilité de pouvoir faire soulever à une distance supérieure à 25 mètres par la grue affectée au chantier par Pascal X..., la seule trémie que celui-ci avait affectée au chantier et dont la contenance était de 800 litres pour un poids de 1 640 kilos en pleine charge de béton ; que, pour preuve de ses difficultés, il avait matérialisé sur le chantier par un trait rouge, le périmètre au-delà duquel la grue ne pouvait soulever et transporter la trémie remplie à pleine charge de béton ; qu'en réponse aux préoccupations manifestées par son chef de chantier, Pascal X... a fait intervenir M. A..., en qualité de technicien de la société Sedimo, installateur de la grue, qui a refusé d'accéder à la demande d'André Z... d'augmenter de 20 % les performances de la grue en raison du risque trop important de basculement, acceptant seulement une augmentation de 10 % ; qu'ainsi, en dépit de l'intervention de M. A..., André Z... ne pouvait utiliser dans des conditions de sécurité satisfaisantes la grue qui avait été mise à sa disposition par Pascal X... et manifestement sous-dimensionnée pour les charges à lever, avec une trémie d'une contenance non seulement supérieure à celle prévue pour un engin de ce type, mais aussi supérieure à celle fixée au PPSPS, sauf à intervenir manuellement pour vaincre le système automatique de sécurité ; qu'en ayant laissé ainsi à disposition de son chef de chantier, pour couler les murs de béton de l'immeuble en construction, une trémie à béton d'une contenance inadaptée aux performances de la grue utilisée, malgré la connaissance qu'il avait eue de l'impossibilité pour cet engin de soulever les charges qu'il devait soulever à la distance imposée par l'emplacement des banches à remplir, et l'obligation qui s'imposait à lui en application du PPSPS, de mettre à disposition de ses salariés un engin de levage approprié aux nécessités du chantier, et alors de surcroît qu'il exerçait sur ce chantier les fonctions de coordonnateur, Pascal X... a commis des fautes d'imprudence et de négligence caractérisées pour n'avoir pas accompli les diligences normales compte tenu de sa fonction, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu'il doit en répondre pénalement dès lors qu'elles révèlent une violation manifestement délibérée non seulement des dispositions des articles R. 233-1, R. 233-13-1, R. 233-13-4, R. 233-13-7, R. 233-13-8 et R. 233-13-14 du code du travail, mais aussi des dispositions prises pour leur application dans le PPSPS du chantier, et qu'il ne pouvait ignorer, en raison de ses fonctions de président du directoire de la société X... Constructions et de coordonnateur de ce chantier, ainsi que de ses compétences acquises au cours d'une longue expérience du métier qu'il accomplissait, qu'elles exposaient Marc Y... à un risque d'une particulière gravité ; qu'il ne peut en effet se retrancher derrière l'importance de la faute commise par André Z... pour se disculper de la sienne propre ; que c'est vainement qu'il soutient que les salariés de son entreprise pouvaient sans dommage utiliser une trémie à béton d'une contenance supérieure à celle préconisée par le constructeur de la grue, à condition de ne pas la remplir complètement et d'en commencer la vidange à une distance à laquelle la grue pouvait la soulever, pour la poursuivre ensuite en bout de flèche une foie la trémie allégée ; qu'en effet, le niveau de remplissage d'une trémie ne peut être véritablement vérifié, compte tenu des modes opératoires utilisés sur un chantier de construction d'immeuble ; qu'en outre, le chantier avait pris environ 8 jours de retard ; que de telles circonstances, nécessairement connues d'un chef d'entreprise exerçant depuis très longtemps dans ce secteur économique, et de surcroît coordonnateur de travaux, lui imposaient, sans possibilité de s'y soustraire, soit de veiller à ce que la trémie utilisée corresponde exactement aux performances de la grue mise en place sur le chantier, soit de faire intervenir un engin de levage d'une puissance supérieure à celle de celui utilisé ; que, dès lors, les fautes personnelles commises par Pascal X... ont contribué à la survenance du retournement de la grue utilisée, qui a conduit au décès de Marc Y..., son salarié ;

" et aux motifs adoptés que, sur la question de la quantité de béton à verser dans la benne, aucune note d'information n'avait été diffusée, et pas davantage la note d'adéquation qui aurait dû être revue ; qu'en qualité de chef d'entreprise et de conducteur de travaux, Pascal X... aurait aussi dû veiller à la mise à disposition du grutier d'une commande adaptée et à interdire l'accès aux sécurités ; qu'enfin, les écoutes téléphoniques réalisées dans le cadre d'une autre procédure sont édifiantes : une pratique est admise par des professionnels sur les chantiers pour " shunter " les sécurités ; que Pascal X... précisait d'ailleurs à son interlocuteur : " quand je fais (shunter), je sais faire …. on fait, ou tout bien ce qu'il faut faire, en plus avec une benne à béton " ;

qu'il convient donc de sanctionner avec sévérité Pascal X..., qui volontairement a fait installer sur le chantier une grue dont les capacités n'étaient pas conformes aux tâches à exécuter et qui a volontairement créé les conditions de l'accident mortel, d'une part, en retirant la benne de 0,5 m³ et, d'autre part, en ne prenant volontairement aucune initiative pour donner les instructions adéquates nécessaires après les modifications opérées par M. A... ; que, par ailleurs, il convient de sanctionner aussi les pratiques qui ont été celles du prévenu, consistant à modifier, lorsque nécessaire, les sécurités sur les grues ;

" 1°) alors que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que le prévenu ait été mis en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en déclarant néanmoins Pascal X..., prévenu d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, coupable du chef d'homicide involontaire par commission d'une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que le prévenu ne pouvait ignorer, bien qu'il ne résulte d'aucune des mentions de l'arrêt attaqué, ni des pièces de la procédure que Pascal X... ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification retenue à son encontre, la cour d'appel a méconnu le principe et les textes précités ;

" 2°) alors que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; que le délit d'homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement suppose de caractériser le caractère manifestement délibéré du manquement constaté ; qu'en se bornant néanmoins à relever, pour déclarer Pascal X... coupable de ce chef, que celui-ci avait laissé à la disposition de ses salariés une trémie à béton d'une contenance inadaptée aux performances de la grue, malgré la connaissance qu'il avait eu de l'impossibilité pour cet engin de soulever les charges qu'il devait soulever à la distance imposée par l'emplacement des banches à remplir, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé le caractère manifestement délibéré du manquement qu'elle a constaté, n'a pas légalement justifié sa décision ;

" 3°) alors que la faute qualifiée du chef d'entreprise doit être écartée si l'accident du travail est la conséquence de la méconnaissance délibérée, par les salariés, des règles de sécurité les plus élémentaires ; qu'en retenant néanmoins la culpabilité de Pascal X... de ce chef, après avoir pourtant constaté que l'alarme de la grue s'était déclenchée pendant la manoeuvre à laquelle se livraient André Z... et Marc Y... et que ceux-ci avaient décidé de passer outre et de poursuivre la manoeuvre après avoir neutralisé les systèmes de sécurité, ce qui avait provoqué l'effondrement de la grue, de sorte que l'accident était la conséquence de leur méconnaissance délibérée des règles de sécurité les plus élémentaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-19 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt attaqué a condamné Pascal X... à une peine de quinze mois d'emprisonnement, dont trois mois sans sursis ;

" aux motifs propres qu'il convient, non seulement, au regard de la gravité de la faute commise, mais aussi de l'absence de prise de conscience de celle-ci par le prévenu, révélée par les propos tenus sur l'accident et le décès survenu à l'un de ses salariés, avec un collègue de travail, lors d'une conversation téléphonique enregistrée par les services de police dans le cadre d'une autre procédure relative aussi à des infractions au code du travail, et eu égard aussi aux condamnations précédentes qui révèlent, chez ce chef d'entreprise, un mépris résolu et constant des règles relatives à l'hygiène et à la sécurité des salariés qu'il emploie, d'infirmer le jugement entrepris sur la peine d'amende prononcée en condamnant Pascal X... à une amende délictuelle de 30 000 euros et de le confirmer pour le surplus de la peine prononcée ;

" et aux motifs adoptés que le bulletin n° 1 de Pascal X... ne comporte certes la mention d'aucune condamnation au moment des faits ; que, toutefois, il porte trace de cinq condamnations liées à son activité économique, certains faits étant antérieurs ou concomitants à ceux du 18 septembre 2003 ; qu'une peine de quinze mois d'emprisonnement, dont douze mois assortis du sursis, sera prononcée ;

" alors qu'en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine ; qu'en se bornant néanmoins à relever, pour condamner Pascal X... à une peine de quinze mois d'emprisonnement, dont trois mois sans sursis, et une peine d'amende de 30 000 euros, que le casier judiciaire du prévenu portait la trace de plusieurs condamnations liées à son activité économique et que le prévenu n'avait pas pris conscience de la gravité des faits, sans indiquer les raisons pour lesquelles une peine d'emprisonnement assortie du sursis en totalité n'aurait pas constitué une répression suffisante, la cour d'appel n'a pas satisfait à l'exigence de motivation spéciale qui pesait sur elle " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, caractérisé en tous leurs éléments, les délits d'homicide involontaire et d'infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs dont elle a déclaré le prévenu coupable, prononcé une peine d'emprisonnement sans sursis par des motifs qui satisfont aux exigences de l'article 132-19 du code pénal et statué sur l'action civile ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Joly conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Finidori conseiller rapporteur, Mme Anzani conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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