COUR DES COMPTES - CHAMBRE DU CONTENTIEUX - Arrêt d'appel - 29/06/2023
COUR DES COMPTES - CHAMBRE DU CONTENTIEUX - Arrêt d'appel - 29/06/2023
Hopital local de Saint James (Manche) - Exercice 2018 - Appel d'un jugement de la chambre régionale des comptes Normandie - n° S-2023-0823
La Cour,
Vu le code des juridictions financières dans ses versions antérieure et postérieure au 1 er janvier 2023 ;
Vu l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics ;
Vu le II de l’article 29 de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;
Vu le IV de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières ;
Vu la requête enregistrée le 30 janvier 2023 au greffe de la chambre régionale des comptes Normandie, par laquelle M. X, comptable de l’hôpital local public de Saint-James, a élevé appel du jugement n° 2022-22 du 29 novembre 2022 par lequel ladite juridiction l’a constitué débiteur envers cet établissement au titre de l’exercice 2018 pour avoir procédé à des paiements sans en avoir vérifié le caractère libératoire ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance ;
Vu la décision du 16 mars 2023 par laquelle le président de la chambre du contentieux a désigné M. Patrick SITBON, conseiller maître, magistrat chargé de l’instruction, décision notifiée ce même jour à M. X et le 22 mars 2023 l’ordonnateur de l’établissement public ;
Vu la lettre de M. X du 15 avril 2023, enregistrée au greffe de la chambre du contentieux le 19 avril 2023 ;
Vu l’ordonnance de règlement et la convocation à l’audience publique du 6 juin 2023, notifiées à M. X le 26 avril 2023, à l’ordonnateur et au ministère public le 27 avril 2023 ;
Vu la communication le 27 avril 2023 du dossier de la procédure au ministère public près la Cour des comptes ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 169 en date du 16 mai 2023 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 6 juin 2023, M. Pierre VAN HERZELE, avocat général, en les conclusions du ministère public, M. X, comptable présent ayant eu la parole en dernier ; les autres parties informées de l’audience, n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré Mme Catherine PAILOT-BONNÉTAT, conseillère maître, réviseure, en ses observations ;
1. Par le jugement entrepris, la chambre régionale des comptes Normandie a engagé la responsabilité de M. X pour avoir payé trois mandats, d’un montant total de 9 181,02 €, à d’autres personnes que les personnes effectivement titulaires des créances, manquant ainsi à ses obligations de contrôle du caractère libératoire du règlement ; elle a jugé que ce manquement avait causé un préjudice financier du même montant à l’établissement et que M. X devait être ainsi constitué débiteur de cette somme ; elle a enfin estimé que le comptable n’avait pas démontré que les dépenses litigieuses étaient exclues du champ du contrôle exhaustif tel que prévu par un plan de contrôle sélectif, et que dès lors le comptable ne pouvait bénéficier d’une remise gracieuse totale.
2. L’appelant sollicite l’annulation du jugement, à défaut son infirmation.
Sur la régularité dujugement attaqué
3. Aux termes de l’article R. 242-8 du code des juridictions financières, dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022, « Les parties à l’instance sont informées du jour de l’audience publique au moins sept jours avant l’audience, dont l’ordre du jour est affiché à l’entrée de la chambre régionale des comptes. (…) ». M. X fait valoir que ce délai n’aurait pas été respecté.
4. Le délai mentionné supra se décompte en jours francs. L’audience étant prévue le 8 novembre 2022, l’information aurait dû être notifiée à M. X au plus tard le lundi 31 octobre 2022 ; or, selon l’accusé de réception de la poste, le courrier recommandé adressé par le greffe n’a été présenté et distribué que le 2 novembre 2022 à l’adresse professionnelle de l’intéressé.
5. Dès lors, le jugement a été rendu au terme d’une procédure irrégulière ; il y a lieu pour la Cour de l’annuler et d’évoquer l’affaire, celle-ci étant en état d’être jugée.
Sur le fond
Sur le manquement
6. Sont concernés trois paiements, effectués par mandats n° 21764 du 17 mai 2018 pour 2 380,80 €, n° 24890 du 15 octobre 2018 pour 1 300,22 €, et n° 23240 du 20 juillet 2018 pour 5 500 €. Pour les deux premiers, les factures produites à l’appui des paiements mentionnent l’existence d’un affacturage et précisent les références de l’affactureur ; le dernier est notamment appuyé d’un formulaire de sous-traitance et d’une attestation de paiement direct au sous-traitant.
7. M. X fait valoir que l’absence de réclamation de la part des deux affactureurs et du sous-traitant concernés, qui auraient dû en être bénéficiaires, signifierait que les paiements litigieux ont été libératoires, et ajoute que ces réclamations seraient aujourd’hui prescrites en application de la loi susvisée du 31 décembre 1968 ; il invoque aussi son investissement personnel, l’existence d’une réorganisation administrative, un sous-effectif du poste comptable et les erreurs commises par l’ordonnateur, et ajoute que le plan de contrôle sélectif de la dépense ne prévoyait pas que les dépenses en cause devaient être contrôlées.
8. Les circonstances que les véritables créanciers n’aient pas réclamé les sommes en cause à l’établissement public, ou encore que cette réclamation soit désormais prescrite, sont indifférentes au constat d’un manquement. Ensuite, M. X ne peut utilement faire valoir à décharge les arguments de contexte ou les erreurs de l’ordonnateur. Enfin, le respect des règles de contrôle sélectif s’apprécie postérieurement au prononcé d’un débet par le juge ; à le supposer établi, il serait sans effet sur le constat de l’irrégularité de la dépense.
9. En payant les sommes en cause aux titulaires des marchés en lieu et place des personnes effectivement titulaires des créances, le comptable a en conséquence méconnu ses obligations de contrôle rappelées ci-dessus.
Sur le préjudice financier
10. Lorsque les manquements du comptable portent sur l’exactitude de la liquidation de la dépense et qu’il en est résulté un trop-payé, ou lorsqu’ils conduisent à payer une dépense en l’absence de tout ordre de payer ou une dette prescrite ou non échue, ou à priver le paiement d’effet libératoire, ils doivent être regardés comme ayant, en principe, causé un préjudice financier à l’organisme public concerné.
11. Toutefois, s’agissant des mandats n° 21764 et n° 24890, des pièces obtenues par le rapporteur de première instance établissent que, postérieurement aux paiements litigieux, les affactureurs ont été désintéressés, par les bénéficiaires des paiements eux-mêmes, des créances qu’ils détenaient sur l’hôpital local public de Saint-James.
12. S’agissant du mandat n° 23240, il ressort des pièces produites par l’ordonnateur que le sous-traitant avait, préalablement au mandat, bénéficié d’une avance de trésorerie du même montant de la part du titulaire ; la dette détenue par le sous-traitant sur l’hôpital local public de Saint-James s’est donc trouvée éteinte par compensation avec la créance du titulaire, à la suite du paiement litigieux.
13. Au reste, les affactureurs et le sous-traitant ne se sont pas manifestés auprès de l’établissement.
14. Dès lors les paiements litigieux n’ont pas causé de préjudice financier à l’établissement.
15. Le juge d’appel statue dans la présente affaire postérieurement au 1 er janvier 2023. Or, en vertu de l’article 29 de l’ordonnance susvisée du 23 mars 2022, il ne peut faire application des dispositions relatives au régime de responsabilité des comptables patents et assimilés qu’« aux opérations ayant fait l’objet d’un premier acte de mise en jeu de leur responsabilité notifié avant le 1 er janvier 2023, lorsque le manquement litigieux a causé un préjudice financier à l’organisme public concerné. » En l’espèce , les paiements litigieux n’ayant pas causé de préjudice financier à l’hôpital, le juge d’appel ne peut, à la date où il se prononce, engager la responsabilité de M. X à raison du manquement en cause. Il n’y a donc pas lieu à charge à ce titre.
16. Plus aucune charge ne subsistant contre lui, M. X peut être déchargé de sa gestion pour l’exercice 2018.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1 er . – Le jugement n° 2022-22 du 29 novembre 2022 de la chambre régionale des comptes Normandie est annulé.
Article 2. – Il n’y a pas lieu à charge à l’encontre de M. X au titre de la charge unique du réquisitoire.
Article 3. – M. X est déchargé de sa gestion du compte 2018 de l’hôpital public local de Saint-James.
Fait et jugé par Mme Marie-Odile ALLARD, présidente de section, présidente de la formation ; MM. Vincent FELLER, Paul de PUYLAROQUE, conseillers maîtres, Mme Catherine PAILOT-BONNÉTAT, conseillère maître.
En présence de Mme Carole H’SOILI, greffière de séance.
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Carole H’SOILI
Marie-Odile ALLARD
Conformément aux dispositions du IV de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des juridictions financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes sur les appels des jugements rendus par les chambres régionales des comptes avant le 1 er janvier 2023 peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État. La révision d’un arrêt peut être demandée après expiration du délai pour se pourvoir en cassation, et ce dans les conditions prévues aux articles R. 142-4-6 et R. 142‑4‑7 du même code.
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