CRTC. CRC Guadeloupe-Guyane-Martinique. Jugement. 26/03/2013
CRTC. CRC Guadeloupe-Guyane-Martinique. Jugement. 26/03/2013
Etablissement public local d'enseignement - Lycée Bellevue à Fort-de-France - Fort-de-France (Martinique). n° 2013-5
LA CHAMBRE REGIONALE DES COMPTES DE LA MARTINIQUE,
Siégeant en audience publique
VU les réquisitoires n° 2011-0024 du 10 octobre 2011 et n° 2012-0008-0133 du 23 août 2012 par lesquels le représentant du ministère public l’a saisie d’opérations qu’il présume constitutives d’une gestion de fait de fonds du lycée Bellevue à Fort de France ;
VU le code des juridictions financières ;
VU le code général des collectivités territoriales ;
VU l’article 60 de la loi n°63-156 du 23 février 1963 modifiée ;
VU les lois et règlements relatifs à la comptabilité des établissements publics locaux d’enseignement ;
VU le décret n°62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, notamment son article 11 ;
VU la décision n°23-2011 du 25 octobre 2011 désignant M. Bernard LESOT, rapporteur chargé d’instruire l’affaire ;
VU les pièces produites ou recueillies au cours de l’instruction ;
VU la lettre du président de la juridiction informant les parties de la date de l’audience publique notifiée à Mmes Y, V, X et W, présidente de l’association BELLANGUES-ECHANGES, le 18 février et à M. Z le 26 février ;
VU les conclusions du procureur financier ;
Après avoir entendu M. Bernard LESOT, président de section, en son rapport, et M. Xavier PELAT, procureur financier, en ses observations ;
Les parties n’étant pas présentes ou représentées ;
Le Ministère public et le rapporteur s’étant retirés ;
ORDONNE CE QUI SUIT :
Attendu qu’aux termes de l’article 60-XI de la loi de finances n°63-156 du 23 février 1963 : « Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous contrôle et pour le compte d'un comptable public, s'ingère dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d'un poste comptable ou dépendant d'un tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions répressives, rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou valeurs qu'elle a irrégulièrement détenus ou maniés.
Il en est de même pour toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d'un organisme public et pour toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public, procède à des opérations portant sur des fonds ou valeurs n'appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d'exécuter en vertu de la réglementation en vigueur. »
Attendu qu’aux termes de l’article L. 231-3 du code des juridictions financières : « La chambre régionale des comptes juge les comptes que lui rendent les personnes qu'elle a déclarées comptables de fait. Elle n'a pas juridiction sur les ordonnateurs, sauf ceux qu'elle a déclarés comptables de fait.
Les personnes que la chambre régionale des comptes a déclarées comptables de fait sont tenues de lui produire leurs comptes dans le délai qu'elle leur impartit.
L'action en déclaration de gestion de fait est prescrite pour les actes constitutifs de gestion de fait commis plus de dix ans avant la date à laquelle la chambre régionale des comptes en est saisie. »
1 - Sur les faits ayant conduit à la saisine de la chambre :
Attendu que lors de ses réunions du 11 février 2010 et 1er juillet 2010, le conseil d’administration du lycée Bellevue a donné son accord pour l’organisation de deux voyages linguistiques aux Etats Unis, le premier du 18 au 28 mars 2010 pour 40 élèves et 4 professeurs, le second du 14 au 26 avril 2011, pour 56 élèves et 4 professeurs et décidé que la participation du lycée était fixée respectivement à 3 180 € et 3 450 € et celle des familles à 622 € par élève dans les deux cas ;
Attendu que s’agissant du premier voyage, dont le budget présenté au conseil d’administration s’élevait à 78 935 €, la comptabilité du lycée ne retrace en tout et pour tout que 2 373,39 € de dépenses correspondant aux billets d’avion de trois professeurs et un titre de recettes, émis pour un montant identique (procédure des ressources affectées) correspondant à la participation du budget général du lycée pour ce voyage ;
Attendu que pour le second voyage, dont le budget s’élevait à 86 686 €, la comptabilité du lycée ne retrace que 17 490 € en dépenses (15 000 € pour une facture de l’agence de voyage intitulée «participation voyage Boston, groupe Bellangues» et 2 490 € pour les billets d’avion de trois professeurs) et une somme équivalente en recettes, composé de deux titres, l’un de 15 000 € correspondant au versement de la subvention de la région et l’autre de 2 490 € égal à la participation du lycée pour ce voyage ;
Attendu que ces voyages ont bien été effectués avec les groupes initialement prévus ; qu’il résulte de ces constatations qu’une partie substantielle des recettes et des dépenses a été réalisée en dehors de la comptabilité du lycée ; qu’ainsi le comptable, alors en fonction, a alerté le 24 mai 2011 le directeur régional des finances publiques sur cette situation ;
Attendu que dans les faits, les participations des familles étaient perçues par l’association Bellangues-Echanges créée le 19 juin 2008 (déclarée le 8 juillet), dont la présidente et la trésorière sont professeures du lycée et que les sommes demandées aux familles étaient bien supérieures au montant fixé par le conseil d’administration, à savoir 1 497 € en 2010 et 1 600 € en 2011 au lieu de 622 € ;
Attendu que les montants encaissés à ce titre, qui constituent les seules recettes afférentes aux voyages, ont permis de payer les dépenses afférentes à la réalisation de ces derniers, en sus de celles retracées dans la comptabilité du lycée ;
2 - Sur la qualification des faits :
Attendu que les voyages étaient organisés par le lycée ; que le montant de la participation des familles était fixé par le conseil d’administration ; qu’ainsi les sommes versées par les familles (même au-delà du montant arrêté par le conseil d’administration) sont des deniers publics qui devaient transiter par la caisse de l’agent comptable du lycée ;
Attendu que selon les dispositions de l’article 11 du décret 62-1587 du 29 décembre 1962 alors en vigueur, le comptable est seul chargé du recouvrement des recettes et du paiement des dépenses publiques ; que, selon le Conseil d’Etat dans son avis du 13 février 2007, « le principe de l’exclusivité de compétence du comptable public pour procéder au recouvrement des recettes et au paiement des dépenses publiques doit être regardé comme un principe général des finances publiques applicable à l’ensemble des collectivités territoriales et de leurs établissements publics » ;
Attendu que ce même avis précise que « dans le cas où la loi n’autorise pas l’intervention d’un mandataire, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne peuvent décider par convention de faire exécuter une partie de leurs recettes ou de leurs dépenses par un tiers autre que leur comptable public ; qu’ainsi le conseil d’administration ne pouvait déléguer à l’association Bellangues-Echanges, formellement ou tacitement, le recouvrement des participations des familles ;
Attendu par ailleurs que la circulaire n° 88-079 du 28 mars 1988 modifiée portant sur l’organisation économique et financière des établissements publics locaux d’enseignement énonce clairement que les opérations relatives aux voyages doivent être suivies dans la comptabilité de l’établissement au chapitre N3 selon la technique des ressources affectées, pour la totalité des recettes et des dépenses ;
Attendu qu’il résulte de tout ce qui précède que la gestion de fait est caractérisée ;
3 - Sur les auteurs de la gestion de fait :
3.1.L’implication de l’association et la responsabilité de la présidente et de la trésorière dans le maniement des deniers publics
Attendu que l’association BELLANGUES-ECHANGES, qui a pour objet « de développer et faciliter les échanges scolaires au sein du lycée Bellevue » constitue le support juridique des opérations irrégulières, que le compte bancaire de l’association a permis l’encaissement des participations des familles et le paiement des dépenses ayant trait aux voyages, qu’en conséquence l’association, personne morale, est partie prenante aux opérations constitutives de la gestion de fait ;
Attendu toutefois que l’association n’a pas de vie propre en dehors de l’activité de sa présidente, Mme W et de sa trésorière, Mme X ; qu’hormis la séance constitutive du 19 juin 2008, il n’y a jamais eu d’assemblée générale, ni d’autres réunions concernant la vie associative, à l’exclusion de celles, avec les élèves et leurs parents qui ne sont pas membres de l’association, consacrées à l’organisation des voyages ;
Attendu que les opérations constitutives de la gestion de fait résultent donc de façon indissociable de celles réalisées par la présidente et la trésorière, dans le cadre de l’association, support juridique ; qu’ainsi l’association et à titre personnel, Mme W et Mme X, sont solidairement co-auteurs des opérations irrégulières ;
3-2 La connaissance du dispositif par le chef d’établissement
Attendu que la proviseure du lycée, Mme Y, chargée de l’exécution des délibérations du conseil d’administration n’ignorait pas l’existence de l’association et le recouvrement par celle-ci des participations des familles comme elle le précise dans sa réponse du 12 novembre 2012 ; que le dispositif lui a été présenté comme un outil facilitateur de la gestion des voyages internationaux, en permettant « une fluidité et une souplesse des encaissements, tout particulièrement des contributions financières des familles, ce qui était de nature à alléger le travail du service gestionnaire placé sous la responsabilité de M. Z, agent-comptable/gestionnaire » ;
Attendu qu’en s’abstenant d’émettre les titres de recettes correspondant aux participations des familles décidées par le conseil d’administration du lycée, la proviseure a facilité l’ingérence de l’association Bellangues-Echanges dans le recouvrement et le maniement des deniers publics ; qu’ainsi, elle doit être considérée comme co-auteur solidaire des opérations irrégulières ;
3-3 La connaissance du dispositif par l’agent comptable
Attendu que M. Z, alors agent comptable du lycée, a alerté, par lettre du 24 mai 2011, le directeur régional des finances publiques sur des faits éventuellement constitutifs d’une gestion de fait concernant les voyages de mars 2010 et d’avril 2011 ; qu’il précisait que « dans les deux cas, les auteurs ont effectué des dépenses, sans avoir reçu mandat à cet effet [et] pour les régler, ils se sont fait verser à mon insu par les familles, leurs participations telles qu’elles avaient été fixées par le conseil d’administration »
Attendu cependant que l’agent comptable qui contresignait les tableaux récapitulatifs des budgets des voyages scolaires présentés au conseil d’administration n’ignorait pas que leur financement devait être assuré par une participation demandée aux familles dont le montant était fixé par le conseil ; que dès le voyage de mars 2010, le très faible montant des dépenses payées sur le budget du lycée et l’absence totale de recettes concernant ces participations démontraient à l’évidence que la majeure partie du financement du voyage ne transitait pas par sa caisse ; qu’ainsi cette situation aurait dû être dénoncée dès 2010 et ne pas se reproduire en 2011 ; que M. Z a justifié son absence de réactivité par la surcharge de travail des services de l’intendance ;
Attendu néanmoins que l’instruction a mis en évidence qu’un voyage scolaire effectué à Boston du 16 au 26 octobre 2008 n’avait déjà été retracé que de manière très partielle dans la comptabilité du lycée puisqu’en dépenses ne figuraient que la prise en charge des billets de quatre professeurs, alors que le groupe comportait 46 lycéens, et le paiement « d’une partie des frais de séjour », comme indiqué sur la facture de l’agence de voyage ;
Attendu qu’à l’évidence les dépenses payées par le lycée pour ce voyage ne correspondaient pas au total des dépenses effectuées ; que de ce constat, il était aisé pour M. Z, qui était également gestionnaire de l’établissement, donc chargé de la préparation des mandats et des titres de recettes pour le compte de l’ordonnateur, de déduire qu’une partie des recettes et des dépenses était effectuée hors la caisse de l’agent-comptable ; que ces pratiques devaient être dénoncées dès cette date ;
Attendu également que M. Z ne pouvait ignorer l’existence de l’association Bellangues-Echanges puisque le 10 septembre 2008 ses services étaient destinataires d’une attribution de subvention au profit de celle-ci, qui fera, in fine, l’objet d’un titre de recette au profit du lycée ; que, de surcroît, le budget prévisionnel présenté au conseil d’administration pour le voyage de 2010, contresigné par M. Z, indique très clairement qu’une partie du financement des voyages est constituée par des dons versés à l’association Bellangues-échanges ;
Attendu, en conséquence, qu’en dépit de ce qu’affirme l’agent comptable, le dispositif ne pouvait lui être étranger et qu’en n’alertant pas le chef d’établissement, il a participé au maintien de ces pratiques de 2008 jusqu’au 24 mai 2011, date de sa déclaration tardive auprès du directeur régional des finances publiques ; qu’en conséquence, il doit être considéré comme co-auteur solidaire des opérations irrégulières ;
3 - Sur le périmètre de la gestion de fait et les montants en cause :
Attendu, que le périmètre de la gestion de fait est constitué par les opérations irrégulières en recettes et en dépenses réalisées dans le cadre des deux voyages aux Etats Unis effectués du 18 au 28 mars 2010 et du 14 au 26 avril 2011 ;
PAR CES MOTIFS,
1) Déclare l’association BELLANGUES-ECHANGES, Mme Y, proviseure du lycée Bellevue, à titre personnel Mme W et Mme X, présidente et trésorière de l’association, M. Z ancien agent-comptable dudit lycée, comptables de fait solidaires du lycée Bellevue à Fort de France ;
2) Fixe le périmètre de la gestion de fait aux opérations irrégulières en recettes et en dépenses réalisées dans le cadre des deux voyages aux Etats Unis effectués du 18 au 28 mars 2010 et du 14 au 26 avril 2011 ;
3) Enjoint aux intéressés de produire à la chambre, dans un délai de deux mois à compter du présent jugement :
- un compte unique, dûment daté, signé et certifié sincère et véritable de ses opérations en recettes et en dépenses, ce par chacun des comptables de fait,
- toutes pièces justificatives exigées par les règles de la comptabilité publique en soutien des recettes et des dépenses dont il sera fait état,
- une délibération exécutoire du conseil d’administration du lycée Bellevue statuant au vu de ce compte sur l’intérêt public des dépenses correspondantes.
Fait et jugé à la Chambre régionale des comptes de la Martinique, le 12 mars 2013.
Présents :
M. Bertrand DIRINGER, Président
MM. Jean-Luc MARON, Fabrice LANDAIS, Laurent OCHSENBEIN, Jean-Claude POZZO DI BORGO, Alexandre ABOU et Jean-Pierre LANDI, Premiers Conseillers,
Ont signé : Mme M. AZARES, greffière ; M. B. DIRINGER, président
Collationné, certifié conforme à la minute étant au greffe de la chambre régionale des comptes de la Martinique et délivré par moi, Secrétaire Générale.
E. LOISY
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous les huissiers de justice, sur ce requis, de mettre le présent jugement à exécution ; aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près des tribunaux de grande instance, d’y tenir la main ; à tous commandants et officiers de la force publique, de prêter main-forte, lorsqu’ils en seront régulièrement requis.
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