Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 15/01/2014
Conseil d'État, 2ème et 7ème sous-sections réunies, 15/01/2014
363259, Inédit au recueil Lebon
Vu la requête, enregistrée le 5 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société Bouygues Télécom, dont le siège est 20, quai du Point du Jour à Boulogne-Billancourt (92640) ; la société Bouygues Télécom demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2012-951 du 1er août 2012 relatif au financement du recueil et du traitement des réclamations relatives aux brouillages des services de communication audiovisuelle par les réseaux du service mobile dans la bande 800 MHz ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des postes et des communications électroniques, notamment son article L. 43 ;
Vu la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, Conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, Rapporteur public ;
1. Considérant qu'aux termes du I bis de l'article L. 43 du code des postes et des communications électroniques, issu de l'article 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 : " Il est institué, au profit de l'Agence nationale des fréquences, une taxe destinée à couvrir les coûts complets engagés par cet établissement pour le recueil et le traitement des réclamations des usagers de services de communication audiovisuelle relatives aux brouillages causés par la mise en service des stations radioélectriques dans la bande de fréquences 790-862 MHz. Ne sont pris en considération que les brouillages causés à la réception de services de communication audiovisuelle diffusés par les stations d'émission prévues dans les autorisations d'usage de la ressource radioélectrique délivrées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel antérieurement à la mise en service des stations mentionnées à la première phrase du présent alinéa. / Le montant global de taxe à recouvrer est réparti, dans la limite de 2 millions d'euros par an, entre les titulaires d'autorisation d'utilisation de fréquences de la bande mentionnée au premier alinéa, selon une clef de répartition définie par bloc de fréquences et correspondant à la part des brouillages susceptibles d'être causés par l'utilisation de chacun des blocs qui leur sont attribués (...) / Pour l'application du présent I bis, les titulaires d'autorisation d'utilisation de fréquences mentionnés au deuxième alinéa informent l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, le Conseil supérieur de l'audiovisuel et l'Agence nationale des fréquences de la date effective de mise en service de chaque station radioélectrique dans la bande de fréquences 790-862 MHz. / Les modalités d'application du présent article, notamment la clef de répartition entre les titulaires d'autorisation d'utilisation de chacun des blocs de fréquences, sont précisées par décret en Conseil d'Etat " ;
2. Considérant qu'en application de ces dispositions, le décret du 1er août 2012 relatif au financement du recueil et du traitement des réclamations relatives aux brouillages des services de communication audiovisuelle par les réseaux du service mobile dans la bande 800 MHz a, notamment, en insérant un article R. 20-44-26 au sein du code des postes et des communications électroniques, fixé la répartition du montant de la taxe en cause, dont l'assiette recouvre les coûts complets exposés par l'Agence nationale des fréquences pour le recueil et le traitement de ces réclamations, en mettant 57 % de ces coûts à la charge du titulaire de l'autorisation d'usage de fréquences pour le bloc positionné de 791 MHz à 801 MHz et de 832 MHz à 842 MHz, 12 % de ces coûts à la charge du titulaire de l'autorisation pour le bloc positionné de 801 MHz à 806 MHz et de 842 MHz à 847 MHz, 12 % de ces coûts à la charge du titulaire de l'autorisation pour le bloc positionné de 806 MHz à 811 MHz et de 847 MHz à 852 MHz et 19 % de ces coûts à la charge du titulaire de l'autorisation pour le bloc positionné de 811 MHz à 821 MHz et de 852 MHz à 862 MHz ; que la société Bouygues Télécom, qui est titulaire d'une autorisation pour le bloc positionné de 791 MHz à 801 MHz et de 832 MHz à 842 MHz et doit, en conséquence, s'acquitter du versement d'une somme correspondant à 57 % des coûts exposés par l'Agence nationale des fréquences, demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret du 1er août 2012 ;
3. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 43 du code des postes et communications électroniques que la clef de répartition, entre les titulaires d'autorisations d'usage de fréquences, du montant global de la taxe instituée par cet article doit être définie par bloc de fréquences et correspondre à la part des brouillages susceptibles d'être causés par l'utilisation de chacun des blocs ; qu'en édictant ces dispositions, le législateur a entendu viser l'ensemble des phénomènes de brouillage susceptibles d'affecter la réception des services de communication audiovisuelle diffusés par la voie de la télévision numérique terrestre du fait de la mise en service des relais de téléphonie mobile dans la bande 800 MHz, sans réserver la répartition du montant de la taxe à la prise en compte d'un seul type de brouillage en particulier ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la clef de répartition fixée par le décret attaqué a été calculée au vu d'études réalisées par l'Agence nationale des fréquences, après notamment une expérimentation faite en janvier 2011 dans la région de Laval en zone rurale et périurbaine, qui indiquaient que le principal facteur de brouillage résultait d'interférences et avait pour cause la proximité des fréquences utilisées par les opérateurs de téléphonie mobile avec les fréquences attribuées aux services de communication audiovisuelle diffusés par la voie de la télévision numérique terrestre ;
5. Considérant, toutefois, que la société Bouygues Télécom fait valoir que le principal facteur de brouillage est dû à un phénomène de saturation des récepteurs de la télévision numérique terrestre, provoqué par la mise en fonctionnement des relais de téléphonie mobile dans la bande 800 MHz, dont l'ampleur est liée à la présence d'amplificateurs de réception sur les antennes individuelles et collectives des téléviseurs et que ce phénomène de brouillage par saturation est indépendant du positionnement des opérateurs dans le spectre des fréquences ; que la société requérante s'appuie à cet égard sur les résultats d'une expérimentation menée dans l'agglomération de Laval en septembre et octobre 2011, à laquelle ont participé les opérateurs de téléphonie mobile et dont l'Agence nationale des fréquences a établi les comptes-rendus, lesquels indiquent que le principal facteur de brouillage constaté résulte du phénomène de saturation et non du phénomène d'interférence et que l'importance du phénomène de saturation s'explique par la circonstance que les amplificateurs installés sur les dispositifs de réception de la télévision numérique terrestre sont très répandus et par le fait que la présence de ces équipements a une forte incidence sur les risques de brouillage ; que la société requérante fait également référence au constat établi par l'Agence nationale des fréquences à la suite d'une autre expérimentation, réalisée avec les opérateurs de téléphonie mobile dans l'agglomération de Saint-Etienne en avril 2013, qui indique, de façon concordante, que les phénomènes de brouillage observés ne résultent pas des interférences entre fréquences mais du phénomène de saturation lié à la présence des amplificateurs d'antennes ;
6. Considérant qu'il ne ressort pas des éléments versés au dossier que le phénomène de brouillage par saturation, causé par la mise en service des relais de téléphonie mobile utilisant les fréquences de la bande 800 MHz, serait lié à la position de chaque bloc de fréquences à l'intérieur de la bande ; que l'administration n'apporte, en réponse à l'argumentation de la société requérante, pas d'éléments de nature à justifier que le phénomène de brouillage par saturation serait marginal ou qu'il varierait effectivement en fonction du positionnement des blocs de fréquences dans la bande 800 MHz, et dans la même proportion que le brouillage par interférence, et, qu'en conséquence, la clé de répartition retenue par le décret attaqué correspondrait effectivement à la part des brouillages susceptibles d'être causés par l'utilisation de chacun des blocs attribués aux opérateurs de téléphonie mobile ; qu'elle ne met ainsi pas le Conseil d'Etat à même de contrôler si la répartition effectuée par le décret attaqué peut être regardée comme correspondant, avec une certitude suffisante, à la contribution effective de chacun des blocs de fréquences aux brouillages causés à la réception des services de communication audiovisuelle ; que, par suite, la répartition retenue par le décret attaqué ne peut être regardée comme étant conforme aux prescriptions posées par l'article L. 43 du code des postes et des communications électroniques ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Bouygues Télécom est seulement fondée à demander l'annulation des dispositions de l'article R. 20-44-26 du code des postes et des communications électroniques, issues du décret attaqué et divisibles des autres dispositions de ce décret, qui répartissent entre les titulaires des autorisations de fréquences dans la bande 800 MHz la couverture des coûts exposés par l'Agence nationale des fréquences pour le recueil et le traitement des réclamations des usagers relatives aux brouillages causés par la mise en service des stations radioélectriques de téléphonie mobile dans cette bande de fréquences ;
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à la société Bouygues Télécom au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le décret n° 2012-951 du 1er août 2012 est annulé en tant qu'il a inséré un article R. 20-44-26 au code des postes et des communications électroniques.
Article 2 : L'Etat versera à la société Bouygues Télécom une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Bouygues Télécom, au Premier ministre et au ministre du redressement productif.
ECLI:FR:CESSR:2014:363259.20140115
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